Noël : entre traditions et récupérations.

Peut-être avez-vous déjà assisté à une messe, dans un moment d'égarement, le soir d'un 24 décembre. Selon les configurations géographique, climatique et démographique de l'endroit, une des descriptions suivantes pourrait vous sembler vaguement familière.


Première situation : 17-18 heures, la nuit finit de tomber (Dieu seul sait jusqu'où), dans une petite église de paroisse rurale. Le curé, tout fringant, guère féministe, a allègrement franchi la barre des quatre-vingt dix hivers (peut-être pas tous passés à remplir cet office, n'exagérons rien) et fait son sermon avec conviction, captivant les fidèles présents. L'assemblée, d'une moyenne d'âge à faire passer la plupart des clubs de retraités  pour des centres aérés, communie avec ferveur, dans un silence religieux (ce qui ne tombe pas trop mal, effectivement).

Deuxième situation : 21 heures, dans la salle des fêtes du patelin le plus gros du coin. Des rangées de chaises en plastique dans une pièce lumineuse abondamment chauffée devant l'estrade sur laquelle s'époumonent deux ou trois assistantes paroissiales, essayant de guider les enfants à travers chants, scènes de théâtres et autres distributions de dessins. Intitulée très prosaïquement "veillée de Noël", on y trouve peu de liturgie, nombre des classiques du répertoire musical, parfois repris sur des tubes qui furent à la mode il y a quelques décennies de cela, et un public très semblable à celui d'un spectacle de carnaval d'école primaire.

Troisième (et dernière) situation : minuit, dans une église du centre ville d'une grosse bourgade. Se retrouvent probablement là, à l'exception des fêtards égarés qui ont vu de la lumière (et, principalement, entendu des voix, enfin, surtout une), les plus traditionalistes et pratiquants des fidèles (tout du moins ceux qui n'ont pas peur du noir, ni du manque de sommeil et qui ont un moyen de locomotion), qui n'ont peut-être pas encore digéré Vatican II et ne comprennent pas comment l'office peut être célébré en certains lieux dans un idiome aussi vulgaire que le français.



Alpaguez quelqu'un dans la rue, au milieu d'un supermarché, dans les gradins pendant une rencontre de curling ou chez le coiffeur, demandez lui, de votre ton le plus sobre et sérieux ce que l'on fête le 25 décembre, et il y a une probabilité non nulle pour qu'il vous réponde "la naissance de Jésus". Peut-être pourrait-on aller jusqu'à affirmer qu'il y a une probabilité presque nulle qu'il réponde autre chose, en supposant que le dit individu soit au courant de l'existence de cette célébrité antique en désuétude.


Jésus de Nazareth serait donc venu sur Terre (pour la première fois) un 25 décembre. Le 25 décembre de l'an zéro ? Le 25 décembre de l'an un ? Selon nombre de personnes ayant dédié nombre d'années à cette question, il serait en fait né quelques années avant l'an un. Jésus de Nazareth serait né environ une demi-douzaine d'années avant Jésus Christ. Laissant de côté l'intéressant paradoxe temporel que cela cause (parce que si en plus de pouvoir ressusciter, il dispose d'un retourneur de temps, on n'en a pas encore fini avec lui), il semble dans ces conditions impensable de pouvoir prétendre connaître le jour exact de la naissance d'un individu dont on ne parvient pas à déterminer l'année de l'arrivée sur notre chère planète.

Malgré certaines apparences, les chrétiens tentant de convertir massivement les populations indigènes (sans la connotation légèrement péjorative traditionnellement associée à ce terme dans notre langue) devaient bien se rendre compte qu'il était davantage aisé de faire une telle chose pacifiquement, par exemple en assimilant les fêtes "païennes" existantes et en leur donnant une signification chrétienne. Diverses célébrations effectuées jadis autour du solstice d'hiver se retrouvèrent ainsi récupérées et détournées.



Peu importe, finalement, ces digressions liturgiques et autres considérations historiques, vous direz-vous dans la majorité des cas, si vous avez lu le courage de lire jusqu'ici. Parce que, reprenant votre cobaye faisant le plein dans une station service, assistant à un concert de hard-métal, faisant son jogging matinal ou étant encore et toujours chez le coiffeur, si vous lui demandez ce que Noël signifie pour lui, ce que Noël lui inspire, ou même ce que, lui, fête à Noël, il est peu vraisemblable qu'il évoque messe de minuit ou naissance de Jésus (bien que l'anglais Christmas soit dérivée directement de Christ mass, la messe du Christ ou que l'espagnol Natividad réfère assez clairement à une naissance).


Peut-être évoquera-t-il les présents qu'il est coutume d'offrir à ses proches, en les déposant au pied du sapin, emballés, avec dessus le nom de l'heureux destinataire. (Si de très jeunes gens ou des gens très rêveurs sont parmi nous, le "il" dans la phrase précédente signifie, bien entendu, "le Père Noël", et il est évident qu'une condition sine qua non pour recevoir des cadeaux est d'avoir été aussi sage qu'une image de Gaston Lagaffe et d'avoir calligraphié une magnifique lettre expédiée jusqu'en Laponie !) Même si l'échange de cadeaux ne date que de quelques centaines d'années, il symbolise, pour les chrétiens, entre autres, les offrandes des trois rois mages venus d'Orient, Balthazar, Gaspard et Melchior, à l'enfant Jésus. Notons au passage que, là encore dans la tradition chrétiennes, ils n'arrivent que pour l’Épiphanie, le 6 janvier (et sont assez exaspérants lorsque qu'on souhaite faire une crèche car il faut les faire avancer peu à peu à travers la pièce pour qu'il n'arrive pas avant le 6 !); c'est à cette date que les espagnols s'échangent des cadeaux.

Peut-être évoquera-t-il le prix des suscités présents, mettant en évidence l'aspect outrageusement commercial de Noël, devenu la période la plus attendu par nombre de commerces (à l'exception plausible des vendeurs de bikinis, serviettes de plage, ventilateurs et cornets de glace) qui y vont d'un même élan de leurs offres spéciales, promotions immanquables ou occasions uniques pour saisir le client qui ne demande qu'à se faire prendre et trouver l'instrument de musique rare qui fera le bonheur de la fille de l'oncle de son grand-père, le chapon dodu qui sera dégusté avec délectation et/ou mépris par la riche cousine ou le sapin qui ne déclenchera pas l'ire de l'épouse désireuse d'éviter les épines sur son tapis favori.

Fille, oncle, grand-père, cousine, épouse, autant de mots qui amènent, particulièrement comme se développe l'éloignement géographique par le biais du rapprochement virtuel, au troisième thème qui pourrait être évoqué, et pas le moindre, la famille. Pour beaucoup, Noël est une occasion de retrouver, pour quelques jours ou quelques heures, ceux qui nous sont chers (et pas spécialement d'un point de vue matériel) pour échanger nouvelles et cadeaux et partager simples discussions, mémorables souvenirs d'un passé révolu et rêves d'un futur pas si utopique que cela.

Le plus souvent autour d'un bon repas, ce qui amène à ce qui devrait être la dernière partie de cet article, si l'on peut qualifier cette suite de mots de la sorte. Chacun associe des mets particuliers au repas de Noël, celui de fête par excellence, des plats classiques, dinde (apparemment pour garantir la protection du soleil à ce qui en consomment), bûche (également en hommage à notre cher astre, à mettre en lien avec les célébrations du solstice d'hiver évoquées plus haut), orange ou mandarine, parsemés d'aliments tout autant traditionnels mais aux connotations plus régionales, à l'instar du foie gras, des bredeles ou de l'ananas, sans oublier le chocolat et les marrons glacés.



Pour un cocktail unique entre fausses traditions et vraies récupérations (à permutation des adjectifs près), ça pourrait être pire, non ?

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