Déblatérations sur la ponctuation. Smileys et décodage. (2/2)

Depuis plus de trois ans, trois post-it (virtuels) traînent sur le bureau (virtuel) de mon ordinateur (moins virtuel) : un blanc, un rose [oui, vraiment] et un bleu.

Il y a quelques jours, j'ai reçu la visite de la personne responsable pour leur existence ; vous savez, la-personne-à-la-question-vraiment-existentielle-à-propos-des-moeurs-du-point-virgule... tout ça, c'est de sa faute.

Tentative de décodage ; ça tombe bien : la ponctuation, qu'est-ce, sinon un code ?

[Vous noterez, en passant, que l'Alt Code pour le c cédille majuscule m'est toujours inconnu... d'où la présence du point virgule ci-dessus. {48 secondes plus tard : pour votre gouverne, Alt + 128.}]



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Les mega cheats de la ponctuation de la terre entière... les smileys. De l'anglais smile, of course.

"Un dessin extrêmement stylisé de visage souriant coloré en jaune, exprimant l’amitié", à en croire cette fameuse "encyclopédie libre" dont le nom commence par Wiki et finit par pédia. Qui nous informe également que la terminologie conseillé en français est frimousse. Ou binette, au Québec.

Avant qu'ils ne soient généralisés en émojis ou autres émoticônes, et que leur usage ne devienne d'un pathétique mainstream, ils hantaient visiblement la Judée il y a plus de neuf millénaires. Ce qui nous fait une belle jambe.

Retournons à nos moutons. Les smileys, de la ponctuation ? Littéralement. Dans leur plus simple expression, il ne s'agit ni plus ni moins que de concaténation -- à première vue aléatoire -- de signes de ponctuation basiques, dont l'agencement prend un sens propre (et se transforme en un objet distinct, souvent rond et jaune, selon une correspondance bijective, pas toujours automatique), indépendamment de ses composantes.


><"    ;-)     ^_^    :)    --"   :-((    =)    :-/

Toute une tribu. Et parfois des lettres sont de la partie, histoire de.

O_o    :D    ;-p    xD    :-s    x)

Une armada, et de quoi attraper un torticolis à force de tourner la tête vers la gauche.
[C'est une vraie question d'ailleurs... pourquoi (-: ou d-: n'ont-ils jamais percé ?]

Qui permet de ponctuer les phrases, et fournit à l'écrit un ersatz d'expression faciale de l'interlocuteur. Quel intérêt de discuter avec quelqu'un de visu quand il suffit de rajouter un smiley par-ci, un smiley par là pour transmettre des (pseudo) émotions ? 😏 

Une ponctuation plus évidente, et grossière, que les symboles classiques, plus simple à comprendre (on en viendrait parfois à ignorer ce qui entoure un smiley !) tout en étant (de prime abord) beaucoup moins subtile : une solution de facilité pour transmettre des émotions, plutôt que des sentiments, de dire "tout va bien" ou, pour les gens ayant une certaine propension au sarcasme [nooooon¹], ne pas avoir à systématiquement préciser *c'est de l'humour, merci de ne pas prendre au sérieux* pour éviter toute ambiguïté avec les personnes susceptibles de ne pas être complétement sur la même longueur d'onde. [Là, on touche du doigt (plus ou moins) la notion de "langage(s) des smileys", abordée un peu plus bas.]

Une ponctuation en train d'envahir le monde, omniprésente dans les échanges mi-écrits mi-oraux (textos, messagerie instantanée), qui envahit peu à peu les mails... et il paraît que certains profs osent les utiliser en corrigeant leurs copies.  À quand les smileys dans les livres ? Ou les livres écrits en smileys ? {La Horde, ça compte pas ! ^_^}

Parce que oui, finalement, les smileys ne forment-ils pas un langage à part entière ?
L'invasion se poursuit, et tout dépend de la définition choisie (🌲, 🏤 ou 🐀 sont-ils des smileys ?), mais on peut tenir une conversation, certes rudimentaire, en employant uniquement ces têtes jaunes (et une un peu rouge).

" 😃
- 😡
- 😕😓😱
- 😔😠😤😫😭
- 😧😲😗😘
- 😳😍
- 😇😉
- 😴😴😴
- 😎😊"

Un peu léger pour le prix Nobel de littérature ou le Goncourt ?

Langage à plein temps ou ponctuation occasionnelle, la case déchiffrage n'est pas à totalement dénigrer... comme pour la ponctuation plus traditionnelle, chacun les cuisine à sa sauce. "^^" est employé dans des contextes différents selon les interlocuteurs... en mode "c'est marrant", ou "ouais ok", ou "rien à foutre". Dans certaines limites, ":D" étant rarement utilisé pour insulter les gens.

Le "vieux cliché de base" serait de penser que raccourcis et simplifications impliquent appauvrissement et confusion ; moyen pour un outil de com' censé éviter cette dernière... à chacun de se faire son avis sur ce sujet ô combien fondamental¹.

¹ : juste pour la déco.

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Et on passe au post-it suivant... qui se résume grossièrement à "si vous voulez lire un truc intéressant, avec des signes de ponctuation partout (mais aussi un travail hallucinant sur les mots et le langage) tout en lisant une quête épique, allez jeter un œil à La Horde du Contrevent d'Alain Damasio".

Parmi les curiosités de ce bouquin hors norme, chaque personnage est représenté par un ou plusieurs symboles (signes de ponctuation, lettres, autres trucs bizarres qui traînent sur un clavier) : ¿´ ou > ou encore ]].
Sans oublier les aficionados de palindromes, pour qui ça vaut également le détour.

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Damasio est loin d'être le seul à avoir expérimenté avec la ponctuation, l'exemple le plus célèbre étant probablement la conclusion d'Ulysse de James Joyce : le "monologue de Molly", 69 pages et environ 25000 mots dans la version originale, 2 signes de ponctuation et 8 "paragraphes" -- dont un de 4391 mots. Les heureux élus ? Les points à la fin des quatrième et huitième "phrases" (une succession de mots non conclue par un point est-elle encore une phrase ?).

Sans rentrer dans ces extrêmes-là,  modifier sa ponctuation c'est modifier la façon dont on s'exprime, au même titre qu'un changement de registre de langue, par exemple. C'est transmettre un message légèrement différent, mettre l'accent sur un aspect plutôt qu'un autre, faire ressentir l'essoufflement, l'hésitation... La rupture. La certitude !

Consciemment ou inconsciemment, on peut se faire "influencer" par autrui : de la même manière qu'on adopte les tournures de fin de mails des personnes que l'on côtoie, on peut récupérer des façons des ponctuer des phrases ; utiliser à outrance le point-virgule ; par exemple.

Et l'absence de ponctuation est une ponctuation en soi ; parfois très forte (idée de maelström, comme dans Ulysse), parfois beaucoup moins intentionnelle (manque de temps, lassitude, flemmingite aigüe). C'est souvent désordonné difficile de dire où s'arrête une idée où commence la suivante volontaire ou involontaire et parfois même de savoir ce que l'autre veut dire entre affirmation interrogation proposition ordre acceptation tout ça quoi.

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Le summum de l'histoire, c'est que dans l'immense majorité des cas, peu nous chaut la ponctuation... sauf dans les études de texte au collège, où les professeurs et élèves arrivent à des conclusions qui laisseraient coi l'auteur du dit texte.

Bref ; la ponctuation : une grille de décodage à clé variable. 
À dans trois ans... ?


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